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LE SHIVAISME ET LES TRADITIONS TANTRIQUES-IV

Le Shivaïsme et les traditions tantriques

‒ IV ‒

Plan
vocable Mâ

Le vocable au centre d’un hexagramme (ṣatkôna, षट्कोण). 
Inscription figurant au milieu du mur, 
à l'arrière de la
mûrti (forme) de Durgâ, 
dans le temple des Soixante-quatre
Yoginîs à Bénarès

© Cahiers de l’Unité

PLAN

[Suite de la section sur le Mantramârga

   Les Trika de Kâlî

   Le Vidyâpîtha et le Bouddhisme ésotérique

   La réforme Kaula du culte des Yoginîs

   Le Trika Kaula : la Transmission de l’Est (Pûrvâmnâya)

   Le culte Kaula de Kâlî : le Mata, le Krama et la Transmission du Nord (Uttarâmnâya)

          1) Le Mata [la « Doctrine »]

          2) Le Krama [la « Séquence »]

          3) Le culte de Guhyakâlî

   Le culte Kaula de Kubjikâ : la Transmission de l’Ouest

   La Transmission du Sud (Dakshinâmnâya) et le Culte de Tripurasundarî

Les traditions post-scripturaires shivaïtes du Cachemire à partir du IXe siècle

   La base commune

   Le Shivaïsme siddhânta cachemirien

   Le Trika cachemirien

   Les doctrines de la Vibration (Spanda) et de la Reconnaissance (Pratyabhijnâ)

   La Doctrine de la Reconnaissance et le Trika

   Le Krama cachemirien

   Le culte cachemirien de Svacchandabhairava

   Le non-dualisme shivaïte et la tradition non-tantrique du Cachemire

Trika de Kali
réforme Kaula culte Yoginis
R N 2
RN 10
R N 3
Trika Kaula
R N 9
Vidyapitha Bouddhisme
R N 1
R N 4
culte kaula de Kali § mata
R N 7
RN 8

Le Trika de Kâlî

       Le culte des trois déesses et celui de Kâlî ne sont pas séparés les uns des autres à la manière de voies rivales. Le Jayadrathayâmala montre que les fidèles de Kâlî ont développé leurs propres versions du culte des trois déesses. Le Trika, à son tour, a assimilé ces versions ainsi que d’autres, nouvelles, aux pratiques plus ésotériques venant de la gauche [du Mantramârga, cf. Le schéma de la structure du Mantramârga dans la marge de la partie III  dans le précédent numéro]. En conséquence, on trouve une dernière strate du Trika dans lequel Kâlasamkarshinî a été introduite pour être adorée au-dessus des trois déesses du trident (Devyâyâmalatantra). Finalement, il y a une réorientation radicale dans laquelle la configuration des groupes de déités, adorées dans certaines formes du culte de Kâlî comme manifestation des phases de la cognition, est surimposée à une version plus élaborée de l’ancienne triade. Elle est envisagée comme la structure intérieure du point de convergence des trois déesses, s’interpénétrant (3 x 3) dans l’unité d’une quatrième puissance [spirituelle]. Au centre de cette convergence se trouvent les douze Kâlîs du Kâlîkrama (ou Kâlîkula) dans leurs douze cercles. (voir figure 1)

 

Le Vidyâpîtha et le Bouddhisme ésotérique

       Au VIIIe siècle après J.-C., les Bouddhistes ont établi une hiérarchie de révélations tantriques plus ou moins parallèle, dans son organisation et ses caractéristiques, à celle du Mantramârga. Leurs textes furent divisés de manière ascendante et progressive dans leur ésotérisme, allant des Tantras de l’Action (kriyâs-tantras), de l’Observance (charyâ-tantras), du Yoga (yoga-tantras), et du Yoga Élevé (yogottara-tantras) jusqu’au Yoga Suprême (yogâ-nuttara-tantras).

          Si on laisse de côté la catégorie la plus inférieure et la plus foisonnante, on peut comparer le culte du Bouddha paisible Vairochana dans les Tantras de l’Observance (Mahâvairochanasûtra, etc.) et du Yoga (Tattvasalgraha, Paramâdya, etc.) avec le culte du Shivaïsme siddhânta de Sadâshiva, et les traditions plus ésotériques aux pratiques plus controversées [plus ésotériques] du Yoga Élevé (Guhyasamâja, etc.) et du Yoga Suprême (Abhidhânottarottara, Hevajra, Dâkinîvajrapanjara, etc.) avec le Mantrapîtha et le Vidyâpîtha des Tantras de Bhairava. Tout comme le culte de Svacchandabhairava du Mantrapîtha est une transition entre le Shivaïsme siddhânta plus exotérique et le Vidyâpîtha de la tradition Kâpâlika, l’Akshobhya dans le Yoga Élevé établit un pont entre le culte de Vairochana et les cultes à dominante féminine, de nature Kâpâlika, de Heruka, Vajravârâhî ainsi que des autres déités portant le khatvânga du Yoga Suprême.

            Aux degrés inférieurs du canon du Bouddhisme tantrique, il y a certainement eu l’influence du caractère général et des méthodes rituelles des traditions tantriques du Shivaïsme et du Pâñcharâtra-Vaishnava. En revanche, au degré final (et ultime), la dépendance est beaucoup plus profonde et détaillée. Comme dans les cultes du Vidyâpîtha, ces déités bouddhistes sont de tradition Kâpâlika dans leur forme iconique. Elles portent les cinq ornements faits d’os et sont enduites de cendres (les six sceaux (mudrâs) des Kâpâlikas). Elles boivent du sang dans des coupes de calotte crânienne (kapâla), ont le troisième œil shivaïte, se dressent sur les corps allongés des déités mineures, portent le croissant de lune au-dessus de leurs cheveux emmêlés, torsadés en chignon (jatâ). Et, tout comme dans le Vidyâpîtha, leurs cultes sont organisés comme ceux des Yoginîs. Ceux qui sont initiés en étant admis dans les mandalas du cercle de ces Yoginîs divines du Bouddhisme sont parés avec des ornements d’os et reçoivent le khatvânga des Kâpâlikas, avec la coupe en calotte crânienne. Ceux qui le souhaitent peuvent mettre en œuvre la pratique à long terme de l’observance Kâpâlika elle-même (Vajra-Kâpâlika), en vivant dans les champs de crémation, en consommant de la viande et de l’alcool, et en se livrant à un culte de nature sexuelle [1].

               Le culte bouddhiste Kâpâlika des Yoginîs qui donne aux Tantras du Yoga Suprême leur caractère distinctif et qui en est leur principal sujet – en effet, ils se réfèrent eux-mêmes aux Yoginî-tantras dans leur ensemble – emprunte beaucoup, dans les détails et les textes de ses pratiques, directement aux sources parallèles du Shivaïsme. Ainsi, la majeure partie du texte dans l’Abhidhânottarottaratantra et le Samputodbhavatantra, qui énumère les caractéristiques par lesquelles les Yoginîs de différentes sortes peuvent être identifiées, ainsi que le langage des signes et les codes syllabiques qu’on doit utiliser pour s’adresser à elles (chommâ), a été tirée, avec quelques réécritures bouddhistes, des textes du Vidyâpîtha, comme le Yoginîsamchâra du Jayadrathayâmala, du Pichumata-Brahmayâmalatantra et du Trantrasadbhâva.

La réforme Kaula du culte des Yoginîs

            Le culte des Yoginîs, comme les principaux cultes d’initiation dans le Vidyâpîtha, était propre aux ascètes porteurs de crânes retirés de la société. On aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que cela demeurât ainsi, mais ce ne fut pas le cas pour le Kaulisme. Cette voie initiatique à l’intérieur du Shivaïsme ésotérique expurgea celle des Kâpâlikas de manière à ce qu’elle pût se diffuser dans la large communauté des hommes mariés, maîtres de maison. Ainsi, au Cachemire, il y eut des interprètes qui l’ont utilisé pour formuler une métaphysique et une sotériologie à même de s’opposer au Shivaïsme siddhânta.

          Les rites des cultes des Yoginîs et les résultats qu’ils offraient étaient appelés kaulika ou kaula dans les textes qui les prescrivaient, ces termes étant des adjectifs dérivés du nom kula en référence aux familles ou aux lignages des Yoginîs et des Mères [2]. En effet, un rite kaulika était celui qui était rattaché à la pratique de l’adoration de ces kulas, et un pouvoir kaulika (kaulikî siddhih) était celui qui était obtenu grâce à ce culte, par-delà toute assimilation dans ces familles (kulasâmânyatâ).

        Le Kaulisme se développa à partir de l’intérieur de ces cultes des Yoginîs. Il préserva le sens original du terme kula et de ses dérivés, mais il introduisit un degré nouveau dans l’ésotérisme basé sur un homonyme. Kula avait aussi le sens de corps, et ensuite par extension, il pouvait signifier la totalité (phénoménale) et il fut alors entendu comme le « corps » de la Shakti. Ce dernier sens a inclus facilement le sens premier, du fait que le « corps » cosmique était entendu comme se composant des puissances des huit familles des Mères. On entrait ainsi dans la totalité (kula) au travers de cette partie de sa puissance avec laquelle on avait une affinité spéciale, déterminée comme précédemment par le jet d’une fleur pendant la possession divine (âvesha) [3].

            De plus, les huit Mères de ces familles étaient rendues intérieurement accessibles parce qu’elles étaient identifiées aux huit composants constituant le « corps subtil » (puryashtaka) de l’adorateur, ceux-ci étant l’ouïe, le toucher, la vue, le goût, l’odorat, la volonté, le jugement et l’ego. L’adorateur était par conséquent le temple de ses déités ; la déité centrale, à partir de laquelle les puissances des Mères sont projetées, dans laquelle elles sont établies [grounded] et dans laquelle elles sont réabsorbées, devait être invoquée à l’intérieur de ce temple [corporel] comme le Seigneur ou la Dame du Kula (Kuleshvara, Kuleshvarî), en tant que conscience béatifique intérieure, identité ultime et trans-individuelle de l’adorateur

            Dans les cultes du Vidyâpîtha, la propitiation des déités impliquait un rapport sexuel avec une dûtî. Cette pratique se poursuivit dans le Kaulisme. Elle a même été placée au cœur du culte. Alors que son but principal dans le Vidyâpîtha était de produire les substances aux pouvoirs susceptibles de satisfaire les déités, ici le rituel de l’accouplement est formalisé [4]. Les propriétés magiques des fluides sexuels mêlés ne sont pas oubliées : ceux qui recherchent les pouvoirs (siddhis) les consomment et même ceux qui s’adonnent au culte pour la seule recherche de la Délivrance, font l’offrande des produits de leur orgasme aux déités. Quoi qu’il en soit, l’accent a maintenant été déplacé sur l’orgasme lui-même. Ce n’est plus seulement un moyen de produire les fluides. C’est un moyen privilégié d’accéder à l’expansion béatifique de la conscience dans laquelle les déités du Kula pénètrent et oblitèrent l’ego de l’adorateur. La consommation de viande et d’alcool est interprétée de la même façon. Leur objet, comme celui de chaque chose dans le rituel, est d’intensifier l’expérience pour satisfaire les déesses des sens.

            Le Kâpâlika du Vidyâpîtha cherchait la convergence des Yoginîs et son identification avec elles (yoginîmelaka, -melâpa) à travers un processus d’invocation visionnaire dans lequel il les attirerait du Ciel, les satisferait avec des offrandes de sang tiré de son propre corps, et monterait avec elles au Ciel comme chef de leur groupe. Les Kaulas ont transcrit cette représentation visionnaire dans les termes d’une expérience spirituelle. Les Yoginîs devenaient les déités de ses sens (karaneshvarîs), se délectant de ses sensations. Dans le plaisir intense, cette délectation embrume complètement sa conscience intérieure : il devient leur jouet ou victime (pashu). Cependant, quand, dans ce même plaisir, l’ego désirant est suspendu, alors les sources extérieures des sensations perdent leur altérité sensible. Elles brillent à l’intérieur de la cognition comme leur forme esthétique. Les Yoginîs des sens savourent l’offrande de ce « nectar », et ainsi satisfaites, convergent et fusionnent avec l’identité intérieure transcendante du Kaula, comme le Kuleshvara, le Bhairava dans le « Ciel » rayonnant de la conscience illuminée (chidyomabhairava)

              Le Kaulisme s’est développé dans quatre voies principales. Elles sont connues comme les Quatre Transmissions (âmnâya) ou comme les Transmissions des Quatre Maisons (gharâmnâya) (de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud). Chacune possède ses propres groupes distinctifs de déités, mantras, mandalas, saints mythiques, mythes des origines et ainsi de suite.

Le Trika Kaula : la Transmission de l’Est (Pûrvâmnâya)

        

             Le premier contexte dans lequel on rencontre cet ésotérisme Kaula est le Trika. La forme Kaula du culte des trois déesses du trident était bien établie parmi les Cachemiriens au début du neuvième siècle ; et notre première exégèse détaillée du Trika cachemirien, à la fin du dixième siècle, montre qu’il existait depuis longtemps une distinction hiérarchique entre la forme inférieure tantrique du culte (tantra-prakriyâ) et la nouvelle tradition Kaula. Les sources Kaula, en dehors du Trika, comme le Chinchinîmatasârasamucchaya (Ms.), indiquent que le Kaulisme de cette branche du Vidyâpîtha est le plus proche de l’origine de la tradition.

           Le panthéon Kula d’origine est constitué du Seigneur et/ou de la Dame du Kula (Kuleshvara, Kuleshvarî) entouré des huit Mères (Brâhmî, Mâheshwarî, Kaumârî, Vaishnavî,  Vârâhî, Indrânî, Châmundâ et Yogeshwarî) avec ou sans leur consort Bhairava. En dehors de ce noyau, on adore les quatre Gurus mythiques ou les Parfaits (Siddhas) de la tradition (les quatre Régents des Âges du Monde (Yuganâtha)), leurs parèdres (dûtîs), la progéniture de ces couples et les dûtîs de ceux-ci. Le couple actuel du Kali-Yuga, l’âge dégénéré, est représenté par Macchanda (le Pêcheur), vénéré comme le révélateur (avatâraka) du Kaulisme, avec sa parèdre Konkanâ [5]. Parmi leurs fils, les douze « princes » (râjaputra), six sont non-célibataires (adhoretas), et ainsi sont particulièrement révérés comme qualifiés (sâdhikâra) pour transmettre le culte Kaula. Ils sont vénérés comme les fondateurs des six lignées initiatiques (ovalli). Au moment de l’initiation, on entrait dans une de ces lignées et on recevait un nom dont la seconde partie indiquait cette affiliation [6]. Des signes faits avec les mains (chommâ, chomâ, chummâ) permettaient aux membres des ovallis de se reconnaître entre eux (un vestige des langages codés plus élaborés [aussi appelés chommâ] des cultes des Yoginîs des Kâpâlikas et de leurs imitateurs bouddhistes) ; et chaque ovalli avait des monastères (matha) pour ses membres dans diverses parties de l’Inde. À cet égard, ils préservaient la tradition antérieure de l’ascétisme shivaïte. 

         Le culte du Trika Kaula a ajouté peu de chose à cette disposition d’origine. Il s’agissait simplement d’adorer ses trois déesses Parâ, Parâparâ et Aparâ placées sur les angles d’un triangle dessiné ou de les visualiser en incluant le Kuleshvara et la Kuleshvarî au centre. Le culte pouvait être réalisé à l’extérieur, sur un tissu rouge placé sur le sol, dans un cercle rempli avec de la poudre vermillon et entouré d’une bordure noire, sur une noix de coco comme substitut du crâne humain, sur une coupe remplie de vin ou d’un autre alcool, ou sur un mandala. Il pouvait aussi être mis en œuvre sur les parties génitales exposées de la dûtî, sur son propre corps, ou dans l’acte sexuel avec la dûtî. Une tradition plus tardive accentue la possibilité d’adorer les déités à l’intérieur de l’énergie vitale (prâna) – on visualise leur satisfaction du « nectar » avec son propre souffle en inspirant. On nous dit également que celui qui cherche la Délivrance [7] doit réaliser le culte d’adoration en pensée seulement (sâmvidî pûjâ). Cependant, même celui qui fait cela, doit faire des offrandes érotiques avec sa dûtî lors de certains jours particuliers durant l’année (parvas).

     La tradition Kaula du Trika se voyait elle-même comme une essentialisation de la pratique tantrique. Dans cet esprit, elle a proposé une forme beaucoup plus condensée de la « rituélie » suivie dans la voie tantrique, mettant l’accent sur la spontanéité et l’intensité de l’immersion (tanmayîbhâva, samâvesha) plutôt que sur un rituel élaboré. Ainsi les purifications préliminaires usuelles (snâna), l’adoration intérieure (antaryâga) qui précèdent toujours les rites tantriques extérieurs et les offrandes dans le feu sacrificiel (homa), lesquels suivent et répètent le culte des déités, peuvent être complètement écartés comme superflus. De plus, le pratiquant peut passer du stade initial, dans lequel il adore la totalité du panthéon Kaula, à celui où il adore finalement uniquement le Kuleshvara central.

      La même concentration et intensification détermine la forme de l’initiation kaula (kaula-dîkshâ). Le guru ouvre la voie de l’initié à la Délivrance et à la puissance en annulant rituellement par avance toutes les futures expériences qui pourraient survenir aux différents degrés de la manifestation, et qui seraient autres que celles de son but actuel. Il l’unit avec la déité au sommet des degrés subtils de l’univers, puis il l’investit d’un corps « pur » ou divin, lui permettant ainsi, après son élévation jusqu’au plan informel de la déité, d'entrer à nouveau dans le monde comme un initié. Dans la voie du Tantra du Trika, comme dans toutes les voies du Tantra, cette destruction des liens karmiques implique une série élaborée d’offrandes dans le feu sacré (hautrî, dîkshâ). L’initié peut rester entièrement passif pendant ce processus. Dans la voie Kaula, tout ceci s’achève par un rituel minimal, alors que l’initié doit manifester les signes de la possession divine (âvesha) et être censé avoir, pendant sa transe, une expérience directe de son ascension de chacun des degrés du cosmos.

        La voie du Tantra, avec laquelle le Kaulisme contraste, n’est pas exactement le Trika du Tantrisme des ascètes. C’est plutôt avec cette forme domestique de la tradition telle qu’elle était pratiquée par les hommes mariés, maîtres de maison, desquels le Trika Kaula a reçu ses initiés. On pourrait conclure, alors, que le Kaulisme, étant donné l’importance qu’il donne à la possession divine et à l’expérience spirituelle, offrait à l’homme marié, tantrique fervent, un substitut acceptable de l’intensité de la tradition tantrique Kâpâlika à laquelle il était directement relié à travers ses déités et mantras, mais de laquelle il était nécessairement exclu par son statut d’homme marié.

Le culte Kaula de Kâlî : le Mata, le Krama et la Transmission du Nord (Uttarâmnâya)

          Après son apparition dans le Trika, le Kaulisme émerge ensuite dans le culte de Kâlî. Il faut distinguer ici trois traditions majeures : 1) la Doctrine (Mata), 2) la Séquence (Krama), aussi appelée la Grande Vérité (Mahârtha), la Grande Voie (Mahânaya), ou la Voie de la Déesse (Devînaya), et 3) le culte de Guhyakâlî.

                      1) Le Mata [la « Doctrine »]

       Le Mata Kaula est enraciné dans la tradition du Jayadrathayâmalatantra. Son essence ou son aboutissement est l’adoration des douze Kâlîs, le Kâlîkrama, qui, comme nous l’avons vu précédemment, était censé irradier ou posséder la conscience de l’initié et de sa dûtî pendant l’acte sexuel, oblitérant les structures contraignantes des consciences différenciées (vikalpa).

     Ce Kaulisme, comme celui du Trika, repose sur une large base de pratiques tantriques, mais à la différence du Trika cette base est entièrement Kâpâlika. La particularité la plus frappante de ce Mata tantrique est la prévalence des déités qui ont des visages d’animaux, ou du moins plusieurs visages zoomorphes en plus d’un visage principal anthropomorphique. Dans le centre de son panthéon se trouvent trois déesses terrifiantes de ce second type : Trailokyadâmarâ (Celle qui terrorise l’Univers), Matachakreshvarî (Déesse du Cercle du Mata) et Ghoraghoratarâ (Celle qui est plus Terrible que le Terrible).  

   Notre seul récit détaillé de la forme Kaula du Mata est le Chinchinîmatasârasamucchaya (Ms.). Donné ici comme le Kaulisme de la Transmission du Nord (Uttarâmnâya), il est exposé dans deux textes ésotériques, l’un de douze et l’autre de cinquante vers, respectivement associés a priori aux Gurus mythiques Vidyânandanâtha et Nishkriyânandanâtha. Du point de vue du style et du contenu, ils sont étroitement reliés à la section du Kâlîkrama du Jayadrathayâmalatantra.

                         2) Le Krama [la « Séquence »]

    On trouve une version beaucoup plus élaborée ou plutôt mieux documentée de la tradition Kaula du culte de Kâlî dans les textes du Krama. La caractéristique remarquable de cette tradition est qu’elle pratique l'adoration d'un panthéon séquentiel plutôt que simplement concentrique. Une série de groupes de déités (chakras) est adorée dans une séquence fixée comme les phases (krama) de la pulsation cyclique de la cognition (samvit). Ces phases sont : Émission (srshtikrama), Maintien de ce qui a été émis (sthitikrama) (aussi appelée Descente (avatârakrama)), Rétraction de ce qui a été émis (samhârakrama) et la Sans Nom, la quatrième, (anâkhyakrama) (aussi appelée la Phase des Kâlîs (kâlîkrama)), dans laquelle toute trace du processus précédent est dissoute dans la conscience libérée et omniprésente. Cette séquence diffère quelque peu de celle qu’on verra au-dessous dans le culte de Vîryakâlî ; elle est aussi considérablement éloignée des déités actuelles qui sont adorées dans les phases concernées. La phase finale, celle du Sans Nom, est identique à celle des treize (12 + 1) Kâlîs mentionnées dans le Mata. En effet, ce groupe de déités est la particularité la plus constante dans les différentes formes du culte de Kâlî.

      La principale autorité scripturaire pour cette forme du Krama est le Devîpanchashataka (Ms.). Cependant, il y eut une variante de la tradition du Krama basée sur le Kramasadbhâva (Ms.). Celle-ci ajoute une cinquième séquence, celle de la Lumière pure, aux quatre citées au-dessus. Il y a aussi l’adoration d’un groupe de soixante-quatre Yoginîs (aussi appelées Shakinîs) à travers cinq phases comme le prélude au culte des Kâlîs du Sans Nom. À l’époque des exégètes cachemiriens, des éléments de chacune de ces deux traditions ont été réunis. Il subsistait, néanmoins, une division permanente dans ce courant traditionnel entre le culte du Krama tétradique et pentadique, dérivant respectivement du Devîpanchashataka et du Kramasadbhâva.

       Les Écritures de ce courant traditionnel ésotérique se sont considérés elles-mêmes comme étant au-dessus du Vidyâpîtha, et il est vrai que, bien qu’il y ait une continuité avec le Jayadrathayâmalatantra, elles sont plus élaborées sur un certain nombre de points. Ainsi, le culte a des mantras, mais il est dépourvu du degré sensible dans lequel les déités prennent une forme iconique. Le culte extérieur est nettement simplifié et il est considéré comme inférieur au culte mental, étant entendu que le domaine de l’adoration (pûjâkrama) n’est rien de plus qu’un reflet du domaine du présent éternel de la cognition elle-même (samvitkrama).

       Cette déclaration de supériorité est aussi exprimée par le fait que les deux textes mentionnés rejettent la convention universelle des Tantras de Bhairava selon laquelle Bhairava a enseigné à la Déesse. Ici les rôles sont inversés. La Déesse enseigne à Bhairava. Elle incarne ce qu’il ne peut pas connaître, à savoir le cycle de la puissance cognitive qui constitue sa propre conscience. 

        Alors que, tout compte fait, il n’est pas possible de dire aujourd’hui d’où vient la majorité des Tantras, la tradition scripturaire et les commentateurs ultérieurs sont unanimes pour attribuer les révélations du Krama à Oddiyâna, le Siège nordique de la Puissance [Shakti] (uttara-pîtha). Celui-ci était dans la vallée du Swat, qui fait partie maintenant du Pakistan, à quelques 300 kilomètres au nord-ouest de la vallée du Cachemire. Le même lieu figure en bonne place dans les récits hagiographiques du Bouddhisme comme étant le centre principal à partir duquel les traditions des Tantras des Yoginîs (=Yogânuttaratantras) se sont propagées. Avec l’avènement de l’Islam et l’effondrement subséquent de la culture urbaine et monastique dans cette région, toutes traces de ces traditions tantriques y ont disparu. 

                          3) Le culte de Guhyakâlî 

        C’est un phénomène commun dans l’histoire des traditions tantriques que de telles subtilités comme celles du Krama aient été écrites dans la partie inférieure, plus concrètement formalisée des rituels qu’ils cherchaient à dépasser. Ainsi, a prospéré, à partir au moins du dixième siècle jusqu’à aujourd’hui, un culte dans lequel les schémas spirituels de la déité du Krama se sont manifestés extérieurement dans une forme iconique comme le cortège de la déesse Guhyakâlî. La source de cette concrétisation est la tradition tantrique du Mata. Avec sa forme à trois visages et huit bras, les visages de Guhyakâlî sont adorés comme les trois déesses du Mata : Trailokyadâmarâ, Matachakreshvarî et Matalakshmî (= Ghoraghoratarâ). Ainsi, elle est perçue comme l’unité transcendante de cette tradition. Ensuite, dans sa forme principale, elle est virtuellement identique à la troisième de ces déesses. Avec huit et, finalement, cinquante-quatre bras, noire, avec dix visages, elle danse sur le corps de Bhairava dans le centre d’un champ de crémation (voir figure 2). 

       La plus ancienne preuve datable de ce culte est aussi notre plus ancien exemple datable d’un manuel de rituel tantrique fournissant des instructions détaillées sur le culte, avec tous les mantras qui doivent être récités. C’est le Kâlîkulakramârhchana de Vimalaprabodha, un auteur mentionné pour la première fois dans un manuscrit népalais daté de 1002 après J.-C. Celui-ci, et bien d’autres manuels pratiques de ce culte, ont circulé et circulent encore dans la vallée du Népal, où Guhyakâlî est l’identité ésotérique de Guhyeshvarî, la principale Déesse locale depuis les récits les plus anciens (800 après J.-C.) jusqu’à aujourd’hui. Les Newars, qui perpétuent les anciennes traditions de la région, préservent son lien avec la Transmission du Nord. Pour eux, Guhyakâlî est l’incarnation de cette branche du Kaulisme. En relation avec elle, dans ce rôle, on trouve la Déesse blanche Siddhalakshmî (toujours écrite Siddhilakshmî au Népal), une des déités apotropaïques (Pratyangirâ) du Jayadrathayâmalatantra et la déesse protectrice des Rois Malla (1200-1768 après J.-C.) et de leurs descendants.

          Une version du culte de Guhyakâlî semble aussi avoir prospéré à Mithilâ (dans le nord du Bihar) selon l’autorité du Mahâkâlasamhitâ. Le lien avec le dispositif du culte du Krama est ici très atténué. Bien que son image soit la même qu’ailleurs, il est inhabituel qu’elle soit adorée avec un consort qui n’ait pas une forme de Shiva, comme on pouvait s’y attendre, mais celle de l’Homme-Lion (Narasimha), incarnation du Dieu rival Vishnu. Mais on en connaît aussi un précédent dans le Jayadrathayâmalatantra. Dans son quatrième quart, ce Tantra enseigne le culte de Kâlî Mâdhaveshvarî qui doit être adorée comme la parèdre de cette même forme de Vishnu. En effet, il semble que ce fut une tradition majeure au Cachemire puisque Abhinavagupta, le grand maître tantrique cachemirien, indique, dans son Tantrâloka, que ce culte est l’une des deux formes du Kaulisme relié au Trika.

Le culte Kaula de Kubjikâ : la Transmission de l’Ouest (Pashchimnâya)

         

            La troisième forme du Kaulisme, étroitement relié au Trika, est celle du culte de la Déesse Kubjikâ. Il se distingue du Trika du fait qu’il ajoute au culte un nouveau groupe de déités, de sorte que le Trika se retire du premier plan de la dévotion dans le rituel, lequel constitue le corps yogique et doctrinal de cette voie. Cette dépendance au Trika se révèle par le fait qu’une grande partie du Kubjikâmata, son principal et plus ancien texte, est constitué de chapitres et de certains passages, avec quelques réécritures, qui sont repris du principal corpus scripturaire de cette tradition [8].

           La divinité supérieure de ce nouveau panthéon est la Déesse Kubjikâ (« la Bossue » ou la « Voutée »). Noire, avec un gros ventre, six visages, douze bras, ornée de serpents, de bijoux, d’os humains et d’une guirlande de têtes coupées, elle enlace son consort Navâtma (« Les neuf formes » [incarnant le mantra aux neuf parties H-S-KSh-M-L-V-Y-R-ÛM]). Il a cinq visages et dix bras. Noir, lui aussi, mais jeune et beau, il danse avec elle sur un lotus qui pousse sur le nombril d’Agni, le dieu du Feu, qui est étendu dans le centre d’un lotus visualisé par l’adorateur dans l’ouverture crânienne (brahmarandhra), au sommet d’un axe de lumière brillante prenant sa source au centre de puissance (chakra) dans la région de ses organes génitaux (svâdhisthâna) (voir Figure 3).

         La tradition du Kubjikâmata est qualifiée de shâkta, c’est-à-dire que c’est un culte shivaïte qui met l’accent sur la Déesse (shakti) plutôt que sur Shiva/Bhairava. En ce sens, toutes les Transmissions sont shâkta. Même si, dans la Tradition de l’Ouest (Pashchimâmnâya), il y a une tradition parallèle connue sous le nom de Shambhava. Il s’agit de Shambhava comme opposé à shâkta parce qu’il met en avant Shambhu (équivalent de Shiva, c’est-à-dire Navâtma) plutôt que la shakti (= Kubjikâ). De la même façon, des versions à dominantes masculines ont existé dans le Trika et dans le Krama. Dans le premier, il y a le culte Kaula dans lequel Parâ, Parâparâ et Aparâ sont adorées comme les puissances de Trishirobhairava (Bhairava aux trois têtes) ; dans le second, Manthâna-bhairava peut prendre la place de la treizième Kâlî dans le Kâlîkrama [9]. La tradition Shambhava, cependant, s’est propagée beaucoup plus largement. On la trouve dans le Shambhunirnayatantra (Ms.) et surtout dans la littérature posts-cripturaire de l’Inde du Sud (comme le Shambhunirnayadîpikâ de Shivânandamuni (Ms.), l’Ânandakalpalatâ de Tejânandanâtha (Ms.) et le Shadanvayashambhavakrama d’Umâkânta). Cette tradition a même été incluse dans le principal courant du Kaulisme expurgé qui a été diffusé par les Shankarâchâryas de Shringerî et de Kânchîpuram (Inde du Sud), comme étant le contenu ésotérique de l’Ânandalaharî, œuvre toujours populaire attribuée à Shankarâ. [10]

           Dans cette tradition, Navâtma, aussi appelé Naveshvara ou Navaka, est adoré comme le Héros Solitaire (ekavîra). Alternativement, le couple divin (Navâtma et Kubjikâ) adopte six différentes formes pour régir les Six Ordres (shadanvaya-) situés dans les six centres (chakras) le long de l’axe de puissance central du corps et assimilés aux cinq éléments (Terre, Eau, Feu, Air et Ether) et au sens interne ou faculté mentale (manas). Ces six degrés sont en outre régis par six séries de couples divins (yâmala), 180 au total (les 360 « rayons »), tirés du panthéon de Kubjikâ dans le plus ancien culte de la Transmission de l’Ouest.

          La doctrine des six centres de puissances (chakras) (âdhâra, aussi appelé mûlâdhâra, à la base de la colonne vertébrale, svâdhisthâna, dans la région des organes génitaux, manipûra dans le nombril, anâdhata dans le cœur, vishuddhi dans la gorge et âjnâ entre les sourcils) est aussi caractéristique des rituels yogiques du Kubjikâmata. Ce yoga du Kubjikâmata et de celui du culte de la déesse Tripurasundarî, les font se démarquer des premières traditions Kaula du Trika et du culte de Kâlî. Il est remarquable sous ce rapport que ces deux nouvelles formes du Kaulisme se délimitent elles-mêmes à partir des précédentes en vénérant comme fondateurs siddhas Mitranâtha, Oddanâtha, Shashthanâtha et Charyânâtha, alors que le Trika et les cultes de Kâlî partagent comme fondateurs Khagendranâtha, Kûrmanâtha, Mesanâtha et Macchandanâtha aussi appelé Matsyendranâtha [11].

La Transmission du Sud (Dakshinâmnâya) et le Culte de Tripurasundarî

         Sous l’égide de la Transmission du Sud, le Chinchinîmatasârasamucchaya décrit le culte de Kâmeshvarî (la Déesse du Plaisir Érotique), une jeune fille (kumârî) mince, avec deux bras et un seul visage entourée par un cortège de douze déités. Onze sont des déesses avec des noms tout à fait appropriés comme Kshobhinî (l’Excitante) et Drâvinî (l’Amollissante). La douzième est de sexe masculin, Kâmadeva : c’est l’Éros Indien.

       Ce culte de magie érotique est le prototype ou une partie du prototype du culte Kaula de Tripurasundarî (la Belle Dame des Trois Mondes), aussi appelée Kâmeshvarî. Adorée dans et comme les neuf triangles du Shrîchakra, rouge, vêtue de rouge, une guirlande de fleurs rouges, un seul visage et quatre bras ; elle tient un nœud coulant (pâsha), un aiguillon à éléphant (ankusha), un arc et cinq flèches (les cinq flèches du dieu de l’Amour), et elle est assise au-dessus des dieux inférieurs : Brahmâ, Vishnu, Rudra et Îshvara, et sur le corps étendu d’un Sadâshiva blanc (voir Figure 4).

         La forme classique de ce culte rappelait qu’il avait un lien particulier avec l’ancienne Transmission du Sud ; mais il en était venu à se considérer lui-même comme dépassant cette division en quatre parties des traditions Kaula, et s’est appelé lui-même la Transmission Supérieure ou Suprême, et a considéré qu’il intégrait en lui les quatre divisions. Dans un développement plus tardif du culte connu comme la Doctrine de Kâlî (Kâlîmata), l’adoration de Tripurasundarî incorporait des versions plus ou moins artificielles et inexactes des panthéons de ces autres traditions. À ces nouvelles liturgies a correspondu la suprématie presque générale de cette forme de Kaulisme pendant toute la période du Moyen-Âge à nos jours.

          Parmi les traditions du Mantramârga étudiées ici, le culte de Tripurasundarî est certainement le plus récent. Son texte de base, le Nityâshodashikârnava, se rattache à la marge du canon shivaïte, mais il est connu dans ce canon seulement par sa propre affirmation. Les habitants du Sud, qui ont attaché beaucoup d’importance à ce culte – il était devenu si puissant qu’il avait été adopté, sous une forme expurgée, par l’autorité orthodoxe des Shankarâchâryas de Shringerî et de Kânchîpuram –, l’ont considéré comme étant cachemirien par son origine. Cependant, c’est très probablement parce qu’ils n’ont pas réussi à identifier la tradition scripturaire elle-même à partir de l’ensemble doctrinal et exégétique cachemirien dans lequel ils avaient reçu ce culte, en provenance du Nord, et avec lequel ils ont continué à être en relation. À partir du Cachemire même, la preuve est insuffisante. Jayaratha (environ 1225-75 après J.-C.), l’auteur cachemirien, qui a écrit un commentaire savant du Nityâhsodashikârnava (son Vâmakeshvarîmatavivarana), se réfère à une longue tradition d’exégèse locale, mais nous pouvons seulement en conclure que ce culte a été introduit au Cachemire quelque part entre 900 et 1100 après J.-C. 

                Le Nityâshodashikârnava est un texte peu élaboré qui se concentre sur le rituel extérieur et sur les divers effets surnaturels qu’il peut accorder à l’adorateur, particulièrement dans la recherche du contrôle sur les femmes. Pour une connaissance plus approfondie, la tradition a du se tourner vers le Yoginîhrdaya [12]. Ici on pouvait trouver les correspondances internes des éléments externes, le sens métaphysique de la séquence, création et réabsorption, que les groupes des déités du shrîchakra densément peuplé étaient censés manifester (voir Figure 5). Ainsi, le texte du rituel, bien qu’il s’intéresse apparemment à la magie érotique – comme le montrent assez clairement les noms de beaucoup de déesses qui le constituent – pouvait devenir le vecteur d’une contemplation ritualisée et gnostique. Néanmoins, bien que le Yoginîhrdaya soit scripturaire dans sa forme (un dialogue dans lequel Bhairava enseigne à la Déesse), il n’y a pas de preuve de son existence avant le XIIIe siècle en Inde du Sud, peu avant que Amrtânandanâtha (environ 1325-75) écrive son premier commentaire connu. Il a certainement été composé quand la tradition shivaïte non-dualiste de l’exégèse cachemirienne du Trika et du Krama était devenue la norme dans l’exposition des cultes Kaula dans le sud de l’Inde, c’est-à-dire environ après 1050 après  J.-C. Ceci est clairement établi parce que le Yoginîhrdaya fait fréquemment écho aux textes si populaires de la tradition cachemirienne comme le Pratyabhijñâhrdaya de Kshemarâja (environ 1000-1050). 

Les traditions post-scripturaires shivaïtes du Cachemire

à partir du IXe siècle

La base commune

 

À partir du milieu du IXe siècle, ces traditions tantriques shivaïtes du Mantramârga sont sorties de leur anonymat scripturaire pour entrer dans un vaste corpus de l’exégèse cachemirienne. Dans cette littérature on rencontre deux écoles : à gauche les théoriciens du Trika et du Krama, et à droite, ceux plus conventionnels et plus fidèles [selon les normes admises extérieurement] au Vêda dans le Shivaïsme siddhanta. Les doctrines de la première école...

Cet article n'est en libre accès, il figure en intégralité dans

le n° 4 des Cahiers de l'Unité et dans le Recueil volume I année 2016

Mandala Trika Tridents Lotus

Figure 1 : le Mandala du Trika des Trois Tridents et des (Sept) Lotus (tritrishûlâbjamandala) avec les douze Kâlîs dans son centre comme le prescrit le Trikasadbhâvatantra

R N 6
R N 5
culte kaula de kubjika
Transmission Sud & R N 11
R N 12
Vairochana

Vairochana

Heruka

Heruka (détail)

Tripurasundarî

 Tripurasundarî

Kubjikâ

Kubjikâ

Guhyakâlî

Figure 2 : Guhyakâlî

Tripurasundarî sur Sadâshiva

Figure 4 : Tripurasundarî sur Sadâshiva

Kubjikâ  avec Navâtma sur Agni

Figure 3 : Kubjikâ avec Navâtma sur Agni, selon la visualisation du texte du Nityâhnikatilaka

Mandala Vajravârâhî

Mandala de Vajravârâhî

kapala-patra

kapala-patra

Khatvânga tibétain

Khatvânga tibétain

(XVIe siècle. Musée Guimet)

Kâlî, Shiva, Yoginîs

Kâlî, Shiva et les Yoginîs

Kâlî

Kâlî

Kâlî

Kâlî

Yoginîs

Couverture d’un livre sur les Yoginîs

Mâtrikâ chakra

Mâtrikâ chakra.
Dans la science tantrique des Noms, dont les deux branches sont la science des Nombres et celle des 
Lettres, la totalité du Mâtrikâ chakra est considérée comme l’alphabet phonématique primordial, essence de tous les phonèmes, et duquel est produit la manifestation. Les seize voyelles représentent les énergies de Shiva dont leur union avec la Mâtrikâ « M » produit le mantra suprême (paramahâmantra) : AHAM.

Ahsta Mâtrikâ

Les huit Mères (Ashta Mâtrikâ)

(Couverture de livre, bois peint, Népal, circa 1750)

Kâlî, Sadhashiva

Kâlî en union avec Sadhâ Shiva

Forme tantrique de Kâlî

Forme tantrique de Kâlî (Népal XVIIe siècle)

Guhyakâlî

Représentation de Guhyakâlî datant du XVIIIe siècle.(National Art Gallery, Bhaktapur, photographie de Rajan Shrestha,in Gudrün Bühnemann, « Sivalingas and caityas in representations of eight cremation grounds from Nepal », Pramanakirtih: Papers Dedicated to Ernst Steinkellner

on the Occasion of his 70th Birthday.

Part 1. Edited by B. Kellner, Vienne 2007)

Siddhilakshmî

Siddhilakshmî (peinture newar, Népal)

Yantra de Kubjika

Yantra pour la pratique de l’adoration de Kubjikâ

Kubjikâ

Kameshwarî

Kameshwarî

Chakras

Chakras

Maheshvarî

Maheshvarî

(Fresque de la cour occidentale du temple de Mehpi Yogambara à Kathmandou, cf. Dinal Bangdel, « Goddess of the Periphery, Goddess of the Centre : Iconology of Jñânadakini in Newar Buddhism », Orientations, vol. 33, N° 10, December 2002)

Temple de Guhyeshvarî

Temple de Guhyeshvarî (Népal)

Forme tantrique de Kâlî

Kalasha de Guhyeshvarî

(Temple de Guhyeshvarî, Népal). 

Dans le Bouddhisme tantrique des Newars, Guhyeshvarî est la Shakti primordiale (Âdi Shakti) qui initie Manjushrî aux pratiques tantriques de Chakrasamvara/Vajravârâhî. Elle « est sauvage et douce, ugra et saumya, tantrique et non-tantrique, elle est carnivore et pure végétarienne, elle est mariée et célibataire, elle est hindoue et bouddhiste, elle est la déesse suprême et la déesse inférieure, la déesse des brahmanes et des basses castes, elle est mobile (kalasha) et immobile (pitha). Elle n’a pas d’identité claire : elle reste un secret » 

(cf. Axel Michaels & Nutan Sharma, « Goddess of Secret: Guhyesvari in Nepal and her Festival », in Wild Goddesses in India and Nepal, Berne, 1996). Ajoutons que ce « secret » est celui de la « coïncidence des opposés » qui est lui-même celui du Centre du Monde.

culte Guhyakali
le krama
citation

Pour citer cet article :

Alexis Sanderson, « Le Shivaïsme et traditions tantrique (IV) », Cahiers de l’Unité, n° 4, octobre-novembre-décembre, 2016 (en ligne).

 

© Pour la traduction française, Cahiers de l’Unité, 2016  

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