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MIROIR DES TEXTES

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Les Cahiers Villard de Honnecourt,

« Initiations et sociétés initiatiques »

n° 129, 2023, 224 pages.

            Il est sans doute inutile de rappeler que Les Cahiers Villard de Honnecourt est le nom d’une revue d’études maçonniques de la Grande Loge Nationale Française qui a été fondée en 1965 par Jean Baylot (1897-1976) – auteur de La voie substituée (recherche sur la déviation de la franc-maçonnerie en France et en Europe), 1968, ouvrage où l’on constate l’influence de l’œuvre de Guénon (1) –, et qui est issue de la Loge de recherche du même nom. Inspirée par la plus ancienne et fameuse Loge de recherche historique anglaise Quatuor Coronati, fondée en 1886 (2), il est évidemment impossible de résumer ses plus de cinquante années de publication.

            À l’instar de Renaissance Traditionnelle, la revue fondée en 1970 (206 numéros) par René Guilly (1921-1992) (3), sous le pseudonyme de René Désaguliers (4), c’est en France un instrument de travail indispensable pour tous ceux qui poursuivent des études d’histoire maçonnique au point de vue traditionnel, même si la perspective de ces deux revues n’est malheureusement pas strictement celui-ci. C’est également une lecture à recommander à ceux qui ne connaissent pas la Maçonnerie, mais qui s’y intéressent. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, et qui n’auraient que le souvenir des anciens numéros, signalons que depuis déjà dix ans maintenant cette publication trimestrielle que sont Les Cahiers Villard de Honnecourt est devenue une belle revue abondamment pourvue d’illustrations en couleur (5).

           Nous aurions aimé consacrer une recension lors de chacune de ses parutions, comme d’ailleurs pour Renaissance Traditionnelle, mais, accaparés par leurs propres travaux, aucun de nos collaborateurs jusqu’ici ne s’est proposé dans ce but. Si donc nous le faisons nous-mêmes aujourd’hui, c’est pour signaler la publication dans ce numéro 129 d’une étude consacrée à René Guénon par M. Pierre Notuma ; elle est intitulée : « Apport doctrinal et méthodique de René Guénon à la Franc-Maçonnerie ». Dans un numéro consacré aux initiations et aux sociétés initiatiques, il convenait de s’y arrêter. Elle témoigne de façon remarquable du maintien aujourd’hui de la présence de l’enseignement de René Guénon dans la Maçonnerie. Ce texte est aussi utile que de qualité.

         En effet, on y trouvera le détail précis de la carrière maçonnique de Guénon, dont l’auteur relève judicieusement qu’elle fut à la fois quelque peu paradoxale et très courte. Avec raison, il n’a évidemment pas voulu s’appuyer sur celle-ci pour que ceux qui l’ignoreraient encore se fassent une idée exacte de la valeur de la contribution de Guénon à la Maçonnerie, mais a présenté son apport doctrinal. Il a ainsi exposé synthétiquement cette doctrine dans une perspective maçonnique. Ce qui sera profitable non seulement à tous les Maçons qui la liront, tant il est vrai que cette question de la doctrine demeure beaucoup trop vague et incertaine, voire totalement fausse, chez un grand nombre d’entre eux, mais également pour tous les lecteurs de Guénon qui pourront y découvrir une application de sa doctrine générale à une perspective spirituelle particulière.

        « L’apport de la méthode à la voie initiatique maçonnique » n’est pas moins important. Certains ont souvent reproché à la Maçonnerie de n’avoir plus de méthode de réalisation initiatique. C’est là une idée simpliste et finalement erronée. À cet égard, M. Notuma rappelle cette parole de Guénon selon laquelle « la voie maçonnique est bien la voie qui, de nos jours, repose entièrement sur les symboles », et que « ces mêmes symboles, en tant qu’éléments des rites et en raison de leur caractère non-humain, sont aussi des supports de l’influence spirituelle elle-même ». En les mentionnant, l’auteur précise d’ailleurs que Guénon « donne des indications très précises sur les modalités d’un travail opératif en Loge, c’est-à-dire qui permet de rendre effective l’initiation virtuelle » (p. 148).

       Une autre opinion qui avait surtout cours au sein de la première génération des lecteurs de Guénon, mais qui a continué de circuler ensuite et jusqu’à nos jours, est celle de la finalité accessible par l’initiation maçonnique. Certains de ceux de cette première génération de lecteurs, qui n’avaient pas encore une idée très juste de la réalisation spirituelle, prétendaient autrefois opposer le degré des « petits mystères » qui limiterait prétendument la Maçonnerie à celui des « grands mystères » des initiations orientales. Bien entendu, une volonté de se justifier ou un certain prosélytisme indirect et inavoué n’étaient sans doute pas toujours étrangers à cette manière de présenter les choses.

       Aujourd’hui, ceux qui se sont engagés dans une voie spirituelle de manière strictement traditionnelle étant plus nombreux, les témoignages plus répandus, et les difficultés mieux connues, il y a eu heureusement un retour à un point de vue plus réaliste. Pour ceux qui s’attacheraient encore à cette opinion, M. Notuma en montre l’inconsistance. À ce sujet, nous ajouterons que, selon Guénon, le passage from square to arch, dans la Maçonnerie, représente un passage du domaine des « petits mystères » à celui des « grands mystères », avec, pour ceux-ci, le double aspect « sacerdotal » et « royal ». (Cf. « La sortie de la caverne », E. T., avril 1938 ; « Le symbolisme du dôme », E. T., oct. 1938)

        Il est évidemment difficile de faire tenir dans un seul article tout ce qui concerne la Maçonnerie dans l’œuvre de Guénon, mais on peut dire que l’auteur est parvenu à exposer l’essentiel. Si nous devions émettre une réserve sur ce texte, dense et irréprochable d’un point de vue traditionnel, ce serait que la question des rapports de l’exotérisme avec la Maçonnerie n’ait pas été abordée. Il est vrai que c’est là un point délicat qui ne peut certainement être traité qu’à part.

        Cet « Apport doctrinal et méthodique de René Guénon à la Franc-Maçonnerie » ne se borne pas toutefois à ce que son titre indique, et qui est pourtant considérable. On le sait, le travail de Guénon ne se limitait pas à la rédaction de ses livres et de ses articles. Cette étude offre également à ce propos une présentation de la part active qu’il a joué, en donnant par correspondance des indications rituelles pratiques et techniques, dans les tentatives effectuées par des Maçons pour constituer une Loge pleinement traditionnelle, c’est-à- dire réellement « opérative » (6). M. Notuma, très bien informé, fournit à ce sujet quelques renseignements inédits intéressants (7).

        Outre tous ces aspects, l’auteur traite finalement de « la vocation eschatologique de la Franc-Maçonnerie ». Il voit dans cette vocation la véritable raison de l’attachement de Guénon pour la Maçonnerie et l’explication de son projet à son propos. Ce point avait déjà été abordé autrefois par Denys Roman, mais M. Notuma en présente un exposé plus congruent qui ne manquera pas de retenir toute l’attention des lecteurs.

         Même si ceux qui perçoivent l’importance cruciale de la réalisation de ce projet que Guénon avait dans la Maçonnerie sont encore trop peu nombreux, la discrétion maçonnique empêchait sans doute l’auteur d’être trop loquace sur cette question. On comprend néanmoins qu’il nous dit, à mots couverts, qu’il s’agit toujours là de choses initiatiques aussi vivantes qu’actuelles. Dans ce domaine, l’œuvre de Guénon n’a pas été écrite en vain. Ce texte des Cahiers Villard de Honnecourt en est définitivement une nouvelle preuve. Il fallait qu’il soit publié. D’autant que de nouveaux lecteurs de Guénon, souvent plus ou moins sous-informés et encombrés d’idées préconçues ou de préjugés, s’adressent régulièrement à nos Cahiers pour nous interroger sur la Maçonnerie. Le travail de M. Notuma répond désormais à toutes leurs questions.

J. A.

 

 

 

1. Dans son article « La Franc-Maçonnerie traditionnelle » (Les Lettres Mensuelles, n° 9, octobre 1970), Jean Baylot écrivait : « Une réunion d’hommes qui, dans le concert de la pensée la plus élevée, avec des ressources d’érudition, de courage, de vertu, s’essaye à approfondir avec un désintéressement total les problèmes du temps n’a rien à voir avec la Franc-Maçonnerie. [C’est nous qui soulignons] La noblesse de ses desseins, la qualité de ses efforts n’est pas en question. Il ne suffit pas que, dans la meilleure hypothèse, elle agrémente d’“un quart d’heure de symbolisme” l’essentiel de sa réunion ». Dans le compte rendu de cet article, Denys Roman, renchérissait : « En effet, un quart d’heure de symbolisme par mois ou même par quinzaine est tout à fait insuffisant pour “réaliser les objectifs de la Maçonnerie” ». Il ajoutait : « Ces objectifs, M. Jean Baylot le rappelle, consistent dans “la transposition de l’art de bâtir le Temple à l’art de bâtir une vie humaine tenue, suivant le grand principe hermétique, pour répéter le Cosmos”. C’est, selon une expression de Guénon, “l’unification du microcosme avec le Macrocosme” ». (E. T., n° 424-425, mars-avril et mai-juin 1971)

2. Les anciens numéros de cette revue anglaise sont désormais disponibles sur l’internet.

3. Le rédacteur en chef de Renaissance Traditionnelle a été M. Pierre Mollier de 1992 à 2022. C’est aujourd’hui M. Roger Dachez ; il est l’auteur de nombreux textes sur les origines de la Franc-Maçonnerie et son histoire à partir du point de vue de diverses disciplines issues des idéologies modernes (celles où il est question d’« espace de sociabilité », de « psychologie des profondeurs », etc.). (Cf. Cahiers de l’Unité, n° 2, 3, 4, 5, 8, 12, 2016, 2017, 2018). Dans la nouvelle formule de la revue, à partir du n° 205 (janvier-juin 2023), M. Dachez a annoncé que « chaque année, le contenu de la livraison annuelle de la revue Ars Quatuor Coronatorum (AQC), véritable thésaurus de l’érudition maçonnique anglaise depuis près de 140 ans, sera systématiquement analysé pour mettre à la disposition d’un public maçonnique français n’accédant pas toujours facilement à la littérature anglaise, le produit de la recherche maçonnique outre-Manche. Il en sera de même pour d’autres revues, comme par exemple Heredom, organe de la Scottish Rite Research Society à Washington ». Il ajoutait que sera abordée, « grâce à l’apport de nouveaux collaborateurs spécialisés, la littérature maçonnique de langue allemande, si négligée dans les études maçonniques françaises ». On doit le féliciter pour ces initiatives. Il indiquait finalement « que Renaissance Traditionnelle n’a jamais été et ne sera jamais une revue de pure érudition et pas davantage une revue obédientielle. C’est une revue érudite au service d’un projet maçonnique. Ce dernier a été formulé dès l’origine par notre fondateur, René Désaguliers, et figure depuis toujours sur la quatrième de couverture : “susciter et publier des études, apporter des documents qui fassent mieux comprendre et mieux aimer la tradition maçonnique dans sa double dimension historique et spirituelle” ». Malheureusement, on ne sait pas ce qui est entendu par ce dernier terme : la revue n’a jamais donnée une définition précise de ce qu’est exactement pour elle cette « dimension spirituelle »...

4. Comme un de nos collaborateurs l’avait déjà remarqué, ce pseudonyme est plutôt étrange dans la mesure où le pasteur protestant Désaguliers (1683-1744) et son comparse Anderson, qui rédigèrent, les Constitutions de la Grande Loge d’Angleterre publiées en 1723, « firent disparaître tous les anciens documents sur lesquels ils purent mettre la main, pour qu’on ne s’aperçût pas des innovations qu’ils introduisaient, et aussi parce que ces documents contenaient des formules qu’ils estimaient fort gênantes, comme l’obligation de “fidélité à Dieu, à la Sainte Église et au Roi”, marque incontestable de l’origine catholique de la Maçonnerie ». Guénon ajoutait : « Ce travail de déformation, les protestants l’avaient préparé en mettant à profit les quinze années qui s’écoulèrent entre la mort de Christophe Wren, dernier Grand-Maître de la Maçonnerie ancienne (1702), et la fondation de la nouvelle Grande Loge d’Angleterre (1717). Cependant, ils laissèrent subsister le symbolisme, sans se douter que celui-ci, pour quiconque le comprenait, témoignait contre eux aussi éloquemment que les textes écrits, qu’ils n’étaient d’ailleurs pas parvenus à détruire tous. Voilà, très brièvement résumé, ce que devraient savoir tous ceux qui veulent combattre efficacement les tendances de la Maçonnerie actuelle ». (« À propos des signes corporatifs et de leur sens originel », Regnabit, février 1926)

5. Le rédacteur en chef des Cahiers Villard de Honnecourt est M. Thierry Zarcone. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, citons notamment : Secret et Sociétés secrètes en islam. Turquie, Iran et Asie Centrale, XIXe-XXe siècles, éd. Archè, 2002 ; Le croissant et le compas. Islam et franc-maçonnerie, de la fascination à la détestation, éditions Dervy, 2015 ; Le mystère Abd el-Kader, Les éditions du Cerf, 2019.

6. D’après une mention privée, Guénon aurait même indiqué à des Maçons de ses lecteurs qu’il accomplirait une prière à leur intention au moment même où ils tiendraient leur première tenue de Loge. De manière analogue, le 20 décembre 1935, il avait précisé : « Pour le groupe d’études, il est entendu, d’abord, que j’y penserai spécialement après-demain soir à l’heure dite (qu’il faut ici augmenter de 2 heures) ; il se trouve que le solstice, cette année, coïncide avec Laïlat El-Qadr (nuit du 27 ramadan) ». Au début des années 1930, il avait invoqué le saint Abû al-Hassan Shâdhilî pour qu’il conduise F. Schuon auprès du Cheikh Al-‘Alawî : « Quant au 1er voyage de Sh.[eikh] A.[ïssa] [F. Schuon], voici ce qu’il en est exactement : quand il m’a annoncé qu’il partait pour l’Algérie, sa lettre m’est arrivée trop tard pour qu’une réponse puisse encore lui parvenir avant la date de son départ, de sorte que je n’ai pas pu lui donner alors une indication quelconque ; tout ce que j’ai pu faire et ce que j’ai fait était d’invoquer pour lui la barakah de Sidi Abul-Hassan [ash-Shâdhilî], en demandant qu’il soit conduit auprès du Sheikh Ahmed, et c’est ce qui est arrivé en effet, à la suite d’un ensemble de circonstances assez singulières comme vous le savez ; je dois dire que lui-même n’a jamais rien su de cela, car j’ai trouvé inutile de lui en parler ». (Lettre de René Guénon à Michel Vâlsan, le 16 septembre 1950)

7. Tous ceux qui ont une sensibilité spirituelle – sensibilité guère explicable à ceux qui en sont dépourvus, car de nature innée et d’origine sans doute anté-humaine –, et même s’ils ne sont pas Maçons, apprécieront aussi les deux photographies de l’Atelier de la Loge « La Grande Triade ». Relevons également la mention qui est faite de l’étude de notre collaborateur parue dans le n° 28 de nos Cahiers pour laquelle nous remercions l’auteur.

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Jean Baylot

Sous le nom d’ordre de Eques a Libertate, il fut armé Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte par le Grand Prieur du Grand Prieuré des Gaules, dont il devint en 1962 le Grand Chancelier et en 1973 le Grand Prieur national et Grand Maître de l’Ordre Rectifié en France. Le 30 novembre 1963, avec Marius Lepage, un correspondant de Guénon, il fut membre fondateur de la Loge «rAmbroise Paré » à l’Orient de Laval (Mayenne), travaillant au Rite Écossais Ancien et Accepté. Avec Paul Naudon (1915-2001), Jean Granger (Jean Tourniac, 1919-1995), Pierre Mariel (Teddy Legrand, Werner Gerson, 1900-1980), Jean Saunier (Ostabat, Emmanuel Deguilhaume, 1939-1992) et d’autres, il fonde en 1964 la Loge d’étude et de recherches de la Grande Loge Nationale Française « Villard de Honnecourt » n° 81.

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