Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
La sculpture bouddhiste
Ananda K. Coomaraswamy
traduit de l’anglais par Jean Buhot, Max Dardevet et Jean Annestay
204 pages, Éditions i, 2021
« […] La portée de ce travail dépasse grandement celle d’une étude sur le Bouddhisme ; la considération particulière de celui-ci, ainsi que le dit l’auteur, n’est à proprement parler qu’un “accident” ; et c’est bien du symbolisme traditionnel, dans son sens vraiment universel, qu’il s’agit surtout en réalité. » (René Guénon)
Cet ouvrage dont les textes s’échelonnent chronologiquement entre L’image du Bouddha (1927), La nature de l’art bouddhiste (1938), Deux bas-reliefs de Bharhut dans la Freer Gallery of Arts (1938) et la parution en français de La Sculpture de Bharhut (1956), vient en complément du livre de Coomaraswamy, Les symboles fondamentaux de l’art bouddhiste de 1935.
Dans ces textes l’auteur présente sa méthode qui consiste à allier une grande érudition (voir l’ampleur et la richesse des notes) à une véritable métaphysique toujours fondée sur la compréhension des traditions spirituelles. Tout en voulant témoigner du caractère immuable, spirituel et symbolique de l’art bouddhique primitif, ce témoignage exprime son engagement métaphysique dans l’art en général. Cette analyse du bouddhisme expose, à travers la période aniconique des Védas brahmaniques jusqu’au Ṛgvéda, la signification des symboles que nous trouvons dans l’iconographie du Bouddha à Bharhut. Coomaraswamy démontre par ces textes que le Bouddhisme ancien doit être considéré comme une partie intégrante de la Sophia Perennis.
Deux bas-reliefs de Bharhut dans la Freer Gallery of Arts et La sculpture de Bharhut, examinent avec précision le symbolisme employé par l’art bouddhiste sur le thūpa de Bharhut. Le thūpa, le toraṇa, le Dhamma-cakka, l’empreinte des pieds, l’arbre de la Bodhi, le cheval, l’éléphant, le lion et le taureau représentent un symbolisme indien universel, dont les illustrations et leurs commentaires produisent un ensemble d’exemples significatifs.
À partir de son ouvrage fondamental sur Les symboles fondamentaux de l’art bouddhiste, Coomaraswamy ajoute à son étude du bouddhisme primitif une autre dimension radicale, celle du symbolisme. Le symbole de l’arbre (de la Bodhi) est ancré dans la tradition hindoue, en dépit de son aniconisme il représente le Bouddha. L’analyse d’un tel symbole vient illustrer la manière dont le bouddhisme adapte un ancien symbolisme (l’Arbre de Vie des Védas) à ses propres fins. L’auteur, à travers ces exemples, montre que tout symbole traditionnel porte en lui ses valeurs originelles, mais trop souvent perçu dans un sens restreint.
Toute la symbolique de Bharhut s’appuie sur les Jātaka (1) selon lesquelles les représentations du Bouddha auraient été créées de son vivant. Ces légendes sont importantes dans la mesure où l’authentifications des symboles n’est pas historique mais idéale. La symbolique comme langage hiératique et métaphysique est parfaitement mise en valeur dans son utilisation à Bharhut.
Le choix de ces textes nous permet aussi de comprendre comment Coomaraswamy fait le lien entre ces deux supports de contemplation : les symboles aniconiques et la représentation anthropomorphique dans l’art bouddhiste.
C’est en 1938 que paraît La nature de l’art bouddhiste, Coomaraswamy y étudie la question métaphysique de la représentation du Bouddha. Dans cet écrit on retrouve les thèmes de nombreuses fois rencontrés, comme l’implantation du bouddhisme et de son art dans le symbolisme védique, ou la question de l’art du Gandhara. On y trouve évoqué, et sans doute en raison de l’influence de René Guénon, un jugement plus enthousiaste que clairement énoncé, selon lequel le développement de l’art figuratif dans le bouddhisme n’engendre pas un véritable progrès ou l’expression d’une vision spirituelle plus importante, mais confirme une concession à des niveaux de références intellectuellement inférieurs. L’auteur illustre son propos en affirmant que cet art est un art « abstrait » (aniconique), qui selon lui est intellectuel et contemplatif. Dans ce texte il n’en défend pas moins la valeur symbolique de l’image de Bouddha, car cette représentation n’est pas un « portrait », mais toujours un symbole. Dans ce cas, employer une image anthropomorphique ne suppose pas des intérêts humanistes comme ceux qui ont abouti à la dépendance de la forme à la figure dans l’art européen après le Moyen Âge. De même que l’image du Bouddha est un symbole, les événements de sa vie ne sont pas une suite d’actions, mais un mythe. Les Jātaka ne viennent pas confirmer un fait historique, comme une transmission de son image par le Bouddha lui-même, mais bien une valeur supra-personnelle de ces représentations anthropomorphiques qui sont apparues des siècles après sa mort. À cette conception de l’iconographie bouddhiste, Coomaraswamy associe celle d’un art conçu traditionnellement comme un véritable rite métaphysique et non comme un simple exercice d’inspiration affective. Selon cette analyse on ne peut dissocier contemplation et art.
Max Dardevet
1. Les Jātaka sont des contes et histoires symboliques qui racontent les vies du Bouddha, et spécialement celles du Bouddha historique. Les histoires de ce dernier forment un ensemble de 547 textes de longueur variable, qui ont été réunis en vingt-deux catégories (nipāta). Il s’agit d’un des genres les plus populaires de la littérature bouddhiste. (Cf. Choix de Jâtaka, extraits des Vies antérieures du Bouddha, traduit du pâli par Ginette Terral-Martini, Paris, 1958) Il va de soi que les histoires des vies antérieures du Bouddha ne se rapportent aucunement à la réincarnation, qui est une impossibilité, mais à la transmigration. Elles sont revêtues d’une forme symbolique propre à l’état humain parce qu’il est impossible de faire comprendre à la majorité la doctrine des états multiples de l’Être. Il est d’ailleurs également impossible de parler des états antécédents de l’Être sans recourir à un langage humain, puisqu’en dehors de la forme chacune des conditions de l’existence des différents états de l’Être est différente de celles de l’état humain.
Max Dardevet
Photographie des vestiges du mur et des fragments de sculpture du temple bouddhiste à Bharhut, prises par Joseph David Beglar en 1874. Bharhut ou Bharhat est un village du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde, où a été édifié un stûpa (reliquaire monumental) à la fin du IIIe siècle après J. C., c’est-à-dire à l’époque du roi des Maurya, Ashoka. Mis au jour au XIXe siècle, il contenait des vedika (Palissades de pierres) portant presque intacts des bas-reliefs sculptés dans le grès rouge. Ils sont aujourd’hui conservés au Musée indien de Calcutta. Selon A. Cunningham, auprès de la statue de Bouddha se trouvaient les figures de divinités hindoues : Kâlî, Shiva, Brahmâ, et Indra.
Pour citer cet article :
Ananda K. Coomaraswamy : La sculpture bouddhiste, traduit de l’anglais par Jean Buhot, Max Dardevet et Jean Annesta, Cahiers de l’Unité, n° 29, janvier-février-mars, 2023 (en ligne).
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juillet-août-sept. 2024