Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
PLAN DE LA PREMIÈRE PARTIE
Pour une histoire traditionnelle de la France
Méthode de l’histoire traditionnelle
La critique traditionnelle de l’État-Nation
L’État et le « règne de la Quantité »
Les Anges des Nations
L’héritage traditionnel de la France
La France et le Graal
La Sainte Ampoule
La fonction de saint Rémi
L’avertissement de saint Rémi
Saint Charlemagne et saint Louis
L’Ordre du Temple
La rupture de Philippe le Bel
Jeanne d’Arc
La Sainte Ligue
La croix de Lorraine
Richelieu
Le rôle du Père Joseph
Le Vœu de Louis XIII
Le retrait des Rose-Croix
Louis XIV et le Sacré-Cœur
Héliaca ou le symbolisme solaire de Versailles
Le « roi-machine »
La dégénérescence du culte royal
Le mystère de l’État
Dans une lettre du 27 août 1947, René Guénon écrivait, à propos de ceux qui, ne comprenant pas la nature de sa fonction, le présentaient comme un «Iécrivain françaisI» : « J’aimerais aussi que l’on n’insiste pas à me qualifier de “Français”, car je suis entièrement indépendant de toute influence “locale” et, à part la langue, il me paraît évident qu’il n’y a rien de spécifiquement français dans ce que j’écris ». Il exprimait ainsi le fait que, de même que les idées, quand elles sont vraies, ne sont la propriété d’aucun individu, elles ne sont pas non plus celle d’une nation quelle qu’elle soit. On ne saurait trop insister en effet sur le caractère absolument universel de l’œuvre de René Guénon.
Pour autant, les lecteurs qui ont conscience de l’importance tout à fait exceptionnelle de cette œuvre peuvent néanmoins se demander légitimement pourquoi celle-ci s’est manifestée en France, et pourquoi la plus importante somme traditionnelle jamais rédigée dans une langue profane l’a-t-elle été spécialement en langue française.
En fait, l’interrogation sur le rôle de la France du point de vue traditionnel pourrait remonter beaucoup plus loin encore. En plein cœur du moyen-âge chrétien, un proverbe latin ne disait-il pas « Gesta Dei per Francos », « l’œuvre de Dieu se fait par les Francs » ? Et peut-on ne pas remarquer l’impressionnante succession de modèles et de contre-modèles traditionnels qui s’est produite en France, pays de Bernard de Clairvaux et de Philippe le Bel, de Jeanne d’Arc et de Robespierre, « fille ainée de l’Église » et « mère de la laïcité » ?
Poser cette question, c’est poser celle du Mystère de la France. Car il y a aussi un mystère des nations, dont le nationalisme constitue la déformation dans le monde moderne. Ce mystère, c’est celui de leur élection particulière pour jouer un rôle déterminé dans la marche des évènements du cycle humain. Ce rôle peut être plus ou moins important selon les cas. Pour ce qui est de la France, nul ne peut contester qu’il fût souvent majeur, dans le positif comme dans le négatif.
Pour tenter d’approcher ce mystère, il faut interroger l’histoire de la France. Mais il ne faut pas l’interroger comme un historien moderne, s’attachant aux faits les plus extérieurs pour y rechercher une « logique » ou une « dynamique ». Il ne faut pas non plus l’interroger comme les idéologues qui n’y trouvent que ce que leur mentalité veut bien y voir pour la mettre au service de l’une des multiples conceptions déviantes que le monde moderne ne manque pas d’offrir. Il faut interroger cette histoire en y voyant l’objet d’une méditation ; de même que la contemplation du monde sensible ramène le sage vers celle des réalités spirituelles, la contemplation de l’histoire peut aussi permettre de percevoir, derrière le jeu des évènements, le reflet de ces réalités se déployant sur la scène du monde. C’est cet esprit qui a guidé notre propos tout au long de l’écriture de cette étude.
Pour une histoire traditionnelle de la France
Il nous semble que jusqu’ici, l’histoire de la France n’a encore jamais été étudiée intégralement et profondément du point de vue traditionnel. Il y a certes eu des tentatives en ce sens, et nous devons en citer particulièrement deux : celle du Père Louis Lallement et celle d’Henry Montaigu (1).
Pour ce qui est de Louis Lallement (1907-1986), son Essai sur la mission de la France, publié en 1944, présente des réflexions tout à fait dignes d’intérêt, et il est à lire en parallèle de son livre sur La vocation de l’Occident. Il demeure néanmoins dans le registre de l’essai très général, et présente l’inconvénient d’être encore marqué par la mentalité de son époque. Plus vaste a été l’entreprise d’Henry Montaigu (1936-1992) lorsqu’il publia La Couronne de Feu. Symbolique de l’histoire de France (Paris, 1987). Mais ce travail qui devait comprendre plusieurs volumes est demeuré inachevé du fait de la mort de son auteur, et, bien qu’on y trouve sur plusieurs points des pages très profondes, il nous semble inégal.
La lecture de ces deux livres, le deuxième surtout, n’en reste pas moins instructive, et nous y renvoyons le lecteur. Nous n’avons pas la prétention en effet d’écrire une histoire traditionnelle complète de la France dans le cadre d’une étude telle que celle-ci. En revanche, nous pouvons nous attacher à présenter certains faits, qui ne sont pas toujours les plus connus, et qui nous semblent de nature à illustrer le « mystère » dont nous parlons, et à en comprendre le sens profond. Chacun des thèmes abordés ici pourrait faire l’objet d’une étude à part entière. Il serait d’ailleurs à souhaiter que ce travail soit entrepris en particulier pour certains d’entre eux, car il pourrait rendre un grand service à la compréhension de la déviation de l’Occident depuis la fin du moyen-âge, et de la façon dont elle a pu se produire.
Méthode de l’histoire traditionnelle
Nous devons cependant insister sur le fait que l’histoire ne pourrait s’étudier au point de vue traditionnel qu’en recourant à des méthodes également traditionnelles. Nous pensons en particulier ici à ce que René Guénon a désigné à plusieurs reprises comme « la superstition du document écrit », et dont le maintien n’est pas sans avoir une raison particulière dans le monde moderne, ainsi qu’il l’écrivait :
« ...La crainte de certaines découvertes de cet ordre ne serait-elle pas une des raisons qui ont fait de la superstition du document écrit la base exclusive de la “méthode historique” ? Partant de là, tout l’essentiel échappe nécessairement aux investigations, et, à ceux qui veulent aller plus loin, on a vite fait d’objecter que ce n’est plus “scientifique”, ce qui dispense de toute autre discussion ; il n’y a rien de tel que l’abus de l’érudition pour borner étroitement l’“horizon intellectuel” d’un homme et l’empêcher de voir clair en certaines choses ; cela ne permet-il pas de comprendre pourquoi les méthodes qui font de l’érudition une fin en elle-même sont rigoureusement imposées par les autorités universitaires ? » (2).
À la superstition de l’écrit, on pourrait également ajouter celle de la «IchronologieI» et celle de « l’objectivité ». Ce que les modernes mettent derrière ces termes, les hommes des époques antérieures le percevaient tout à fait différemment. À la volonté de connaître « les faits, rien que les faits », selon le credo journalistique, c’est-à-dire de s’enfermer dans le domaine le plus extérieur, ils préféraient la chronique qui ordonne les mêmes faits non pas en fonction de ces critères extérieurs, mais en les rapportant à un niveau de réalité supérieur et plus profond, par là-même souvent inaccessible à ceux qui n’ont plus aucune connaissance de cet ordre. À la prétention de dresser la biographie des héros et des saints, c’est-à-dire là encore de réduire leur existence à sa dimension extérieure, ils préféraient l’hagiographie, qui perçoit dans un être son archétype, son « divin exemplaire » pour reprendre le langage de Ruysbroeck, car c’est parce que cet être a réalisé cette dimension supérieure de lui-même que sa vie peut avoir un intérêt quelconque.
Nous terminerons sur ce sujet en citant un peu longuement ces lignes d’Henry Montaigu, qui pourraient en quelque sorte servir de manifeste à celui qui voudrait poursuivre cette étude de l’histoire du point de vue traditionnel :
« L’histoire sacrée se fonde sur la chronique et la tradition. Dans cette perspective, les évènements n’ont eux-mêmes aucune valeur : ils ne sont rapportés qu’autant qu’ils s’inscrivent harmonieusement dans le “système du monde” issu de la Révélation et ne sont commentés qu’à la lumière de connaissances traditionnelles dont cette Révélation est la source. Le choix du chroniqueur est donc synthétique. L’histoire “totale” n’est envisageable par lui qu’en mode qualitatif. Il ne recherche pas la science pour la science, mais à dégager du chaos des faits une ligne providentielle, à montrer – et non d’ailleurs à démontrer – la présence de Dieu dans l’histoire et quels sont les résultats de l’action divine sur les hommes, les organisations, les formes, les évènements. Il laisse de côté tout ce qui lui semble accidentel ou contingent. Il peut lui arriver de forcer plus ou moins les dates, de fondre les évènements, d’attribuer à un seul personnage ce qui est le fait de plusieurs générations. Il ne sert que les vérités essentielles et sacrifie allègrement les vérités temporaires ou subalternes qui sont en quelque sorte le “domaine de l’illusion” et qui peuvent contribuer à “noyer”, sinon tout à fait à détruire l’intelligence de l’enchainement cyclique et la capacité sapientielle des évènements » (3).
La critique traditionnelle de l’État-Nation
Il nous paraît également indispensable de commencer cette étude en dissociant nettement le « mystère » de la France, comme celui d’autres nations, du « nationalisme » au sens moderne et politique de ce terme. On sait que René Guénon a rappelé à plusieurs reprises que « tout “nationalisme” est nécessairement opposé à l’esprit traditionnel » et que « la formation des “nationalités” est essentiellement un des épisodes de la lutte du temporel contre le spirituel » (4) ; ce que nous nous proposons d’exposer ici n’a donc rien de commun avec le « culte » de l’État-Nation qui s’est imposé progressivement en Occident depuis la fin du moyen-âge, avant de connaître plus récemment des contestations dont la finalité est certainement plus sombre encore.
En réalité, la double forme étatique et nationale – et nous verrons qu’il y a par définition un lien étroit entre les deux – est le mode d’exercice du pouvoir temporel qui caractérise proprement l’époque moderne, comme l’a indiqué là encore René Guénon en écrivant que celle-ci pouvait être définie, sous le rapport politique, comme la « substitution du système national au système féodal ». À l’inverse, « la forme féodale, qui est celle où les Kshatriyas peuvent exercer le plus complètement leurs fonctions normales, est en même temps celle qui paraît le mieux convenir à l’organisation régulière des civilisations traditionnelles, comme l’était celle du moyen-âge » (5).
La formation des États-Nations en Occident est le fruit d’un double processus par lequel le pouvoir temporel a d’une part rejeté l’autorité spirituelle qui constituait le principe d’unité de toute civilisation traditionnelle, et par lequel il a d’autre part prétendu reconstituer artificiellement cette unité autour de lui-même. C’est ce qui s’est produit en Europe, et tout particulièrement en France, avec la « centralisation » autour du pouvoir royal, qui a voulu s’affranchir de l’autorité papale et, dans le même temps, absorber les pouvoirs appartenant normalement à la noblesse dans son ensemble. Sur le plan « organisationnel », ce processus ne pouvait être mené à bien qu’en utilisant la troisième caste, c’est-à-dire la bourgeoisie ; et, sur le plan des mentalités, il devait s’appuyer sur la constitution d’un « sentiment national » suffisamment puissant et exclusif pour se substituer au sentiment d’appartenance traditionnelle qui primait auparavant sur tous les autres. C’est pourquoi nous avons dit que la centralisation étatique était étroitement solidaire de l’apparition des « nationalités ». La bourgeoisie, qui avait d’abord servi de moyen pour la réalisation de cette double finalité, devait naturellement en prendre à terme la direction, et c’est ce qui se produisit avec la Révolution française.
Il y a dans le processus que nous venons de décrire quelque chose de très analogue, dans l’ordre social, à la substitution illusoire du « moi » au Soi dans l’ordre microcosmique, où l’on voit précisément la coagulation des éléments psychiques autour du « moi » s’appuyer sur l’identification de l’être à la forme corporelle, comprise dans un sens de plus en plus restreint, avant d’être finalement « possédé » par celle-ci et par les influences inférieures qui l’investissent. Ceci découle du lien étroit qui existe entre matérialisme et...
Benoit Gorlich
(À suivre)
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René Guénon
Blason de sainte Jeanne d’arc
Fleurs de lys et Oriflamme
Louis XI contre les Bourguignons à la bataille de Montlhéry.
Saint Denis remettant l’oriflamme au maréchal de Metz. L’oriflamme de l’abbaye de Saint-Denis était l’étendard du roi de France en temps de guerre. De 1124 à la fin du Moyen Âge, elle accompagna les armées au combat.
« Montjoie saint Denis ! » Cri de ralliement des chevaliers sur les champs de bataille du XIIe et XIIIe siècles, inscrit sur la bannière de couleur écarlate parsemée de flammes d’or de l’oriflamme de Saint-Denis. « Montjoie saint Denis » devient la devise du royaume de France, qui se place ainsi sous la protection du saint tutélaire du royaume : saint Denis.
Saint Maurice, saint patron de l’Ordre du Croissant fondé par René d’Anjou en 1448.
juillet-août-sept. 2024