Numéro 17
Janvier, février, mars 2020
édition brochée, 218 illustrations et photographies, couleur, papier couché 120 g, format 19x25, 112 p.
44 €
Revue d'études des doctrines et des méthodes traditionnelles
Cahiers de l’Unité
PLAN
I – La lutte pour l’indépendance de l’Inde
Une vocation précoce : rendre à l’Inde sa liberté
Une vie entre le Gujarat et le Bengale autour de 1900
L’entrée en politique
Les fondements spirituels de la lutte pour l’indépendance de l’Inde
Aurobindo et Tilak
Diviser pour régner : la question de la partition du Bengale
Aurobindo et Gandhi
Précisions sur le rôle de Gandhi
Les répercussions de l’engagement politique d’Aurobindo
II – Le parcours spirituel d’Aurobindo
Les premières expériences spirituelles
La question du rattachement initiatique
La rencontre avec Lélé
L’emprisonnement et le procès
Le départ pour Pondichéry
Introduction
Cela fait maintenant près d’un siècle que tout Occidental s’intéressant à l’Inde et à sa spiritualité est conduit à croiser tôt ou tard le nom de Shrî Aurobindo. Avec Râmakrishna, Shrî Ramana Maharshi, Mâ Ânanda Mayî ou Swâmî Ramdas, il compte parmi les maîtres dont l’enseignement a eu un retentissement certain en Occident au cours du XXe siècle (1). Ce prestige a conduit beaucoup d’Occidentaux ayant une aspiration spirituelle à vouloir aller à leur rencontre, et un nombre relativement important d’entre eux ont pris le chemin de l’ashram de Pondichéry où Aurobindo était établi. Il était d’autant plus facile à ces Occidentaux de s’y intégrer que cet ashram était en réalité très largement dirigé par des Européens, et en particulier par une Française, Mirra Alfassa-Richard, désignée comme la « Mère ».
À ce titre, la perception qu’on a pu avoir en Occident de la figure d’Aurobindo a été variable, tout comme est variable la perception que peuvent en avoir aujourd’hui les Hindous eux-mêmes : tantôt, il est considéré comme l’un des innombrables exemples de sages auxquels la tradition hindoue, ses doctrines et ses méthodes, ont permis d’atteindre une réalisation spirituelle de premier ordre ; tantôt, il est présenté comme une figure moderniste, ayant contribué à une sorte de « synthèse » entre l’Hindouisme traditionnel et les idées occidentales modernes, ce qui, bien sûr, n’est un compliment que dans l’esprit de ceux qui sont acquis à ces dernières.
Ce qui est peut-être plus surprenant pour le lecteur de René Guénon, au premier abord, c’est que l’on trouve dans les comptes rendus que celui-ci a publié à propos des écrits d’Aurobindo un écho de cette double appréciation, selon le moment et les textes considérés. Guénon a en effet d’abord recommandé la lecture des textes d’Aurobindo aux lecteurs des Études traditionnelles, et a même parlé, à son sujet, d’un homme « incontestablement d’une haute valeur spirituelle », ce qui ne saurait être négligé, car l’on doit bien reconnaître qu’il n’a pas si souvent eu l’occasion de formuler publiquement un jugement de cette nature à propos de l’un de ses contemporains. Mais, par la suite, il a aussi exprimé de vives réserves sur la terminologie employée par lui, et, surtout, sur le fonctionnement de son ashram et les déviations de plus en plus manifestes contenues dans les publications de celui-ci (2).
Ces déviations sont d’ailleurs devenues définitives après la mort d’Aurobindo en 1950, et, au cas où certains lecteurs se poseraient encore la question, nous devons d’emblée insister sur le fait qu’aucun rattachement initiatique ne peut être recherché aujourd’hui de ce côté-là, et que la cité « d’Auroville », qui bénéficie encore d’une certaine publicité en Occident et sur laquelle nous reviendrons, ne peut conduire qu’à une impasse tous ceux qui ont une quête spirituelle authentique. Ce double écueil nous rappelle néanmoins que le cas d’Aurobindo est complexe, et c’est cette complexité que nous voudrions tenter de démêler ici dans la mesure du possible.
La publication du livre de M. Luc Venet, Sri Aurobindo. Le rebelle et le sage, en 2020, nous permet d’y revenir, et de proposer aux lecteurs une étude de synthèse sur cette question. M. Venet, agrégé de mathématiques, qui a séjourné de nombreuses années à l’ashram de Pondichéry, et a longtemps collaboré avec Satprem (Bernard Enginger, 1923-2007) pour la traduction anglaise des Agendas de Mère et leur diffusion aux États-Unis, a écrit un essai biographique sur Aurobindo qui est tout à fait favorable à celui-ci et à la « Mère ». Nous serons amené dans ce compte rendu à critiquer ce point de vue sous plusieurs rapports, mais nous devons préciser ici que l’étude de M. Venet a le mérite d’être intéressante par les sujets variés qu’elle aborde, qu’elle est très bien documentée pour sa partie historique, et qu’elle est en outre agréable à lire. Par ailleurs, plusieurs éléments relevés par M. Venet à propos de l’histoire récente de l’Inde rejoignent le point de vue traditionnel comme nous le verrons.
Nous nous proposons ici de confronter les différents aspects de la vie et de l’œuvre d’Aurobindo au point de vue traditionnel, ce qui, à notre connaissance, n’avait encore jamais été fait en profondeur. Pour ce faire, nous reviendrons d’abord sur sa carrière politique en tant que figure majeure de la lutte pour l’indépendance de l’Inde (I), puis sur son parcours spirituel personnel après être sorti de la scène politique (II). Nous aborderons ensuite les questions posées par son ashram et l’influence de celui-ci, de son vivant et après sa mort (III), et nous tâcherons de procéder à un examen d’ensemble de ses points de vue concernant la réalisation spirituelle, tant sur le plan doctrinal (IV) que sur celui des méthodes de réalisation (V).
– I –
La lutte pour l’indépendance de l’Inde
Si Shrî Aurobindo est aujourd’hui connu en Occident principalement pour ses livres et son ashram, il n’en allait pas de même pour ses contemporains en Inde qui, longtemps, ont d’abord vu en lui une figure politique de la lutte pour l’indépendance de leur pays. Ce n’est pas le lieu ici de proposer une étude détaillée de ce sujet, mais nous pensons utile de revenir sur quelques aspects de sa carrière dans ce domaine, soit parce qu’ils nous permettront de mieux comprendre le personnage, soit parce qu’ils contribuent à préciser certains éléments de l’histoire récente de l’Inde du point de vue traditionnel. Nous devons dire également que c’est sur ces questions que le livre de Luc Venet est le mieux documenté, et qu’il apporte les précisions les plus intéressantes à nos yeux.
Une éducation occidentale
Aurobindo Ghose est né à Calcutta le 15 août 1872, et c’est dans son Bengale natal qu’il passera les huit premières années de sa vie. Or, à cette époque, le Bengale est traversé, comme le reste de l’Inde mais d’une façon qui semble peut-être plus accentuée, par deux tendances opposées mais étroitement connexes : le désir de défendre la culture bengalie face à l’occupation anglaise – très présente et fortement enracinée dans cette région de l’Inde (3) –, et celui de s’assimiler à la culture du colonisateur britannique en raison d’une forme de complexe d’infériorité qui a pu être très prégnant dans certaines couches de la société indienne, et dont on trouve encore des traces à notre époque. Comme on a pu le voir à plusieurs reprises dans ce type de cas, les deux tendances trahissent...
Benoît Gorlich
(À suivre)
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Mirra Alfassa-Richard, la « Mère »
juillet-août-sept. 2024