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HAGIOGRAPHIE CRITIQUE DE QÛNAWÎ

Aperçus sur les études akbariennes en Occident

‒ I â€’

Portrait d'Ivan Aguéli par Ragnar Alyre

Portrait d’Ivan Aguéli (1869-1917) par Ragnar Alyre

RN 1&2
PLAN
R N 3
le songe
Ivan Aguéli photographie

Ivan Gustave Aguéli

RN 9 + Cheikh Abd ar-Rahman

PLAN

Le songe d’une nuit d’hiver d’Ivan Aguéli

Cheikh ‘Abd ar-Rahmân ‘Illaysh al-Kabîr (1845-1929)

René Guénon

Titus Burckhardt (1908-1984)

a) La fin de la modernité

b) Difficultés des études akbariennes

Le songe d’une nuit d’hiver d’Ivan Aguéli

 

          « Je lisais les livres du Maître avant de savoir l’arabe.

Je le vis lui-même avant de connaître son nom. »

Ivan Aguéli, Paris, août 1910.

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« L’amour vrai n’a jamais suivi un cours facile. »

W. Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream.

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             L’histoire de l’étude de l’œuvre d’Ibn ‘Arabî en Occident commence à la fin du XIXe siècle, en Suède. Comme s’il fallait que ce fût le plus au Nord de l’Europe, dans l’obscurité intellectuelle de ces contrées, que se manifestât d’abord la plus grande lumière intelligible du Sud. Son début fut nocturne, énigmatique et secret, en la personne d’Ivan Aguéli. C’était un Suédois, né le 26 mai 1869 au Wästmanland (1), dans la petite ville de Sala dont le nom signifie justement « secret » (2). Nous avons dit que son début fut nocturne, ce n’est pas une image littéraire, mais un fait littéral : il y eut un songe à son origine ; sans doute parce que « chaque homme dans sa nuit va vers sa lumière. » En 1893, au milieu du chemin de sa vie (« Nel mezzo del cammin di nostra vita »), à vingt-quatre ans (il devait mourir à quarante-huit), Aguéli, la nuit, eut la vision (ru’yâ) très précise d’un homme inconnu ; ou plutôt c’est cet homme inconnu qui le regarda en premier lieu.

             Les songes ne sont pas des rêves, c’est la vie qui est un rêve, et le songe véridique un éveil à une réalité plus haute, vérifiant le mot selon lequel « nous nous éveillons quand nous pensons dormir ». Aguéli ne fut en mesure de savoir qui était cet homme mystérieux qu’après quatorze années, en 1907. Il passa du signe à sa signification lorsqu’il lut sa description physique dans une biographie, notamment à cause d’« un détail dans l’œil ». Il s’agissait d’Ibn ‘Arabî lui-même (3), apparu ainsi plus de 600 ans après sa mort, parce que les saints sont vivants pour toujours, et que le temps de la véritable histoire du monde est régi par des nombres cycliques qui ouvrent et ferment les âmes et les choses. Tout commença donc par un regard dans un songe, celui d’Ibn ‘Arabî sur Aguéli, et celui d’Aguéli sur Ibn ‘Arabî, à l’orée du monde imaginal aurait pu dire Henry Corbin. Et l’œil, d’après Ibn ‘Arabî, n’est-il pas le symbole de la « Synthèse et de la Réalisation par excellence » ? (4)

            On sait le cœur instable, incertain de son domicile et de sa véritable appartenance, il est un nomade sans pacage qui suit les caprices des saisons (5), la vie d’Aguéli fut alors une longue et tumultueuse quête dans différents pays d’Europe et d’Orient, mais on sait aussi que le cœur est le lieu secret et caché de la conscience (6). Ce sont les circonstances qui, toutes à leur gré, font passer de la « puissance » à l’« acte » les possibilités que comporte la disposition naturelle des êtres (7). C’est ce qui advînt en Égypte où Aguéli se rendit pour la première fois, en septembre 1894, c’est-à-dire un an après sa vision en songe. Il y a évidemment un lien entre l’une et l’autre ; ne sait-on pas d’ailleurs que « le rêve est la quarante-sixième partie de la prophétie » ? (8) Il entra en Islam quatre ans plus tard, sous le nom d’‘Abd al-Hadî – « Serviteur du Guide » –, en 1898, et voyagera en Inde l’année suivante, sans doute parce que l’Inde, au centre de l’Orient, est le confluent effectif ou métaphorique de tous ceux qui cherchent encore le Graal.

                  Ivan Aguéli underbara resa genom världen, en quelque sorte.

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Cheikh ‘Abd ar-Rahmân ‘Illaysh al-Kabîr (1845-1929)

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          C’est toutefois en Égypte que survint un événement décisif dont les effets continuent d’agir encore aujourd’hui en Occident. Faut-il s’en étonner ? L’Égypte n’avait-elle pas détenu aux temps patriarcaux le rôle de centre spirituel et d’« école prophétique » pour les traditions environnantes ? (9) La vocation spirituelle de certains lieux est trop puissante pour s’éteindre tout à fait, elle change seulement de forme. Lors d’un séjour de plusieurs années, de 1902 à 1909, Aguéli y rencontra son maître spirituel. Si l’on sait que celui-ci était le plus grand akbarien de son époque, on doit bien admettre que ce qu’on appelle le hasard n’est que l’ignorance des causes. Pour le présenter, Aguéli écrira en 1907 dans Il Convito, une revue qu’il avait participé à fonder au Caire en mai 1904 (10) : « Le vénérable cheikh Elish, qui est pour ainsi dire le descendant spirituel d’Ibn ‘Arabî. » Avant même qu’il sût qui était cet Occidental aux cheveux blonds, le cheikh égyptien le surnomma Muhyi-d-Dîn – « Revivificateur de la Religion » –, du nom même du Cheikh al-Akbar qui l’avait visité autrefois en songe (11), tant il est vrai que les contingences sont réduites au minimum chez certains êtres, amenés invinciblement par les affinités de leur nature vers ce qui est le secret de leur cœur. (12) Ce maître était le Cheikh ‘Abd ar-Rahmân ‘Illaysh (1845-1929), il fut certainement le Pôle spirituel caché (Qutb) de toute la tradition islamique à un certain moment (13). Ce n’était pas qu’une manière de parler et un simple éloge de sa perspicacité quand Aguéli disait de lui qu’« il voyait loin dans l’avenir », c’est que parvenu au Centre du Monde, il était affranchi du nom et de la forme, du temps et de l’espace.

                 Le destin de l’Occident ne lui était pas étranger : il fut l’ami intime du célèbre émir Abdel-Kader (1808-1883) (14). Celui qui avait été exilé à Damas pour avoir si bien combattu les Français (15) ; et qui fut si magnanime qu’au péril de sa vie, en 1860, il s’interposa par la force, avec les membres de sa suite, pour sauver du massacre plusieurs milliers de familles chrétiennes venues se réfugier dans le quartier des Algériens, celui où se trouve le mausolée d’Ibn ‘Arabî (16). Il faut sans doute donner à ce noble épisode une valeur de symbole plus haute que celle sub specie temporis, à savoir l’indication de la possibilité d’un recours d’un autre ordre et d’une plus grande portée. Au propre (c’était le nom de son père) comme au figuré, c’est-à-dire spirituellement, l’émir était lui aussi un fils de Muhyi-d-Dîn. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il fut un akbarien de première magnitude, récipiendaire de grâces divines et scrutateur des visions spirituelles, « au centre d’une entreprise de restauration traditionnelle » axée sur la doctrine d’Ibn ‘Arabî, a-t-on dit. En 1857, en finançant la première version imprimée du Message des Révélations Mekkoises pour la Connaissance des Secrets du Roi et du Royaume (Risâla Futûhât al-Makkiya fî Ma’arifa al-Asrâr al-Mâlikiyya wa al-Mulkiyya) (17), il mit cet ouvrage dans le domaine public. Les idées appartenant à tous ceux qui les comprennent, il restera toujours des livres pour ceux qui n’auront pas de visions, et s’ils ne peuvent aller cueillir eux-mêmes le lys et la rose dans le Jardin clos, ils pourront toujours en respirer le parfum.

             Détenteur d’une ijâzah...

         

 

Stanislas Ibranoff

(À suivre)

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Wästmanland, Suède

Wästmanland, Suède

Émir ‘Abd al-Qâsir L’Algérien

Émir ‘Abd al-Qâsir L’Algérien

Sceau de l’émir :  « Abd al-Qâdir Ibn Muhyi-d-dîn »

Sceau de l’émir :

« Abd al-Qâdir Ibn Muhyi-d-dîn »

Tombeau de l’Émir Abdel-Kader à Damas

Tombeau de l’Émir Abdel-Kader à Damas. Les rites funéraires pour l’Émir furent accomplis par le Cheikh ‘Illaysh. Le tombeau est situé à côté de celui d’Ibn ‘Arabî. À l’instar de celui du Christ, il est vide. Contre sa dernière volonté, son corps a été transféré en 1965, pour des raisons politiques, dans le cimetière d’El Alia, en Algérie, mais selon les initiés, sa Ruhâniyya, son « entité spirituelle », est toujours à Damas.

Citation

Pour citer cet article :

Stanislas Ibranoff, « Aperçus sur les études akbariennes en Occident », Cahiers de l’Unité, n° 16, octobre-novembre-décembre, 2019 (en ligne). 

 

© Cahiers de l’Unité, 2019  

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